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Le Ruban Blanc

Le Ruban Blanc (2009)
Film austro-allemand de Michael Haneke avec Ulrich Tukur, Burghart Klaussner, Christian Fiedel, Rainer Bock, Susanne Lothar. (2 h 25.)

an imageAprès des films en forme de théorème, Michael Haneke se livre à un formalisme élégant et semble nous livrer son opus magna, primé à Cannes par une palme d’or polémique. A la photographie, Christian Berger, son frère d’armes depuis Benny’s Video (1992), explore un monde en noir et blanc, hanté par un ciel perpétuellement livide, écrasant.  

Les visages baignés par cette lumière sont ceux d’une communauté villageoise allemande du début du XXe siècle, soumise à tous les avatars d’un ordre inflexible. Haneke a posé ses contraintes. Elles seront sociales, familiales, religieuses.

Nous irons tous au paradis car…

La ferveur en plus, la duplicité en moins, le pasteur, tout droit échappé de La Nuit du Chasseur de Laughton, s’écoute prêcher un dogme édifiant. Aux premières loges, ses enfants profitent du zèle avec lequel il joint le geste à la parole. Au sermon succède la trique. Le ruban blanc scelle la pénitence. Une bande de tissu, brassard humiliant, qui les rappelle à la valeur primordiale, la pureté.

Dans un univers sclérosé, les enfants font les frais du refoulement général. Victimes inquiétantes, leur regard est omniprésent lorsque la mécanique se grippe.

Ce sont d’abord deux chutes. Un câble venu de nulle part met le médecin à bas de son cheval. Le plancher de la scierie domaniale cède sous les pieds d’une paysanne, entraînant sa mort. Un crime d’un côté, un accident de l’autre, hasard et causalité s’entremêlent pour produire une série. La progéniture de la noblesse locale se voit ligoté et rossé, un enfant handicapé subit un sort similaire, un grenier prend feu. Représailles contre de présumés fautifs ou symptômes barbares d’une société que le silence et les apparences amidonnent, en ne filmant ni les actes ni leurs auteurs, Haneke maintient le doute et la tension. Au grand dam du baron qui s’exclame lors du culte, « si nous ne découvrons pas la vérité, notre communauté ne connaîtra plus la paix. »

Losey et Visconti sont dans un village

Poursuivant un questionnement entamé de longue date sur la violence et sa représentation, Michael Haneke procède ici par suggestion. Dans l’obscurité ou la lumière, la caméra filme des intérieurs bourgeois oppressants. Les oiseaux sont en cage, les émotions sous cloches et les désirs attachés, telles les mains de Martin, l’aîné du pasteur, à l’heure du coucher.

A plusieurs reprises le vernis éclate. Deux scènes conjugales dont la férocité évoque Bergman. « J’ai vraiment essayé d’en imaginer une autre en couchant avec toi, une qui sent bon, une jeune, moins décatie que toi, mais je n’ai pas assez d’imagination. » Servie par un médecin au mieux de sa forme, Rainer Bock (vu dans Inglourious Basterds), l’honnêteté s’avère d’une cruauté inouïe. Afin d’assurer la cohésion de la structure, le mensonge se révèle indispensable.

Selon Wolfgang Sofsky, sociologue allemand, « La violence n’est que la conséquence d’une culture orientée vers la transcendance de l’être. » Haneke illustre ce propos mais se garde d’en tirer des conclusions. Les crimes perpétrés se justifient-ils en attaquant l’ordre établi, ou subliment-ils cet ordre en le protégeant ?

L’incertitude parcourt le film, à commencer par la figure de l’instituteur, témoin qui quelques décennies plus tard, revient sur les évènements sous la forme d’une voix-off. Rumeurs et ouï-dire ont œuvré depuis, terreau propice au doute. En 1913, d’origine citadine, il s’était constitué en enquêteur idéal de cette tragédie rurale. Il était l’étranger, le maillon communiquant entre deux générations silencieuses. En 1914, il a été appelé.

Haneke clôt sa somme sur une perspective redoutable. La Première Guerre mondiale frappe aux portes et le spectre de la Seconde plane au dessus des garçons et des filles. Ils seront fatalement les nazis de demain et leur ruban blanc n’était peut-être que l’étroit sentier d’une innocence damnée : l’enfance.